De la nécessité d’articuler théorie et pratique

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Lorsque le système nous retire chaque jour un peu plus de droits fondamentaux – ici le droit à la santé, ailleurs le droit à disposer de son corps, ailleurs encore jusqu’à la liberté d’expression – n’est-il pas de notre devoir, en tant qu’intellectuels, d’arrêter la masturbation intellectuelle et de se retrousser les manches ? Lorsque l’on fait le choix de faire de longues études, une des contradictions les plus fortes n’est-elle pas que plus on avance intellectuellement, plus on régresse manuellement ? Quand on réfléchit très-très-fort-très-très-longtemps, on a pas trop le temps d’apprendre des choses fondamentales comme le maraîchage, la mécanique, la cuisine ou la menuiserie, vous comprenez. Qui plus est en habitant une capitale ou une grande ville, ce qui est, en général, la condition sine qua none pour disposer d’une université à proximité. Réfléchir nous prend tout notre temps. Et réfléchir pour quoi ? Pour pondre, après des années de travail acharné, un document inédit sur l’occurrence phénoménologique de la métonymie substantielle, qu’une poignée de chercheurs sera à même de comprendre, si tant est qu’ils le lisent. Je suis loin de défendre le tout pratique contre la théorie – ce qui d’ailleurs de ma place serait assez risible, ne suis-je pas en train de théoriser la nécessité de réintroduire la pratique aux côtés de la réflexion intellectuelle ? – je m’interroge plutôt sur comment articuler les deux sans en choisir un au détriment de l’autre. On a souvent voulu opposer les deux, les hiérarchiser, l’éternelle scission manuels VS intellectuels, mais cette idée reçue qu’il y aurait deux camps, qu’il faudrait trancher afin de pouvoir se ranger soi-même dans une petite case, n’est-ce pas cela qui empêche l’horizontalité des luttes ?

Je m’épanouis dans mes études, mais je ne veux pas me retrouver à la trentaine sans rien savoir faire d’autre que réfléchir correctement, exceller dans l’art du commentaire composé et de la dissertation, ou maîtriser à la perfection des concepts littéraires et philosophiques. Je veux aussi prendre le temps de connaître mon corps et ses limites, me plonger dans l’étude des plantes médicinales, apprendre à faire du savon et à réparer mon chauffe-eau, je veux m’émerveiller des richesses d’un jardin cultivé de longue haleine l’été, et attendre patiemment au coin d’un feu le repos hivernal de la terre en faisant des conserves. Bref, je veux une vie simple, une vie qui respecte la nature et les saisons, une vie qui mêle intimement travail physique et travail intellectuel.

Mais peut-être n’est-ce là qu’un caprice de littéraire frustrée qui fantasme sur le potentiel poétique d’une vie plus authentique…